Edition : 300
chemise en carton gris 155*215 mm en 400 gr
5 calques 200 gr
5 affiches pliées 592 x 420 mm format ouvert en différentes qualités de papier
Les éditions peuvent être achetées dans la section 'support' de ce site web
et peuvent être récupérées à Société sur rendez-vous.
Claire Andrzejcak:
The Proust Effect
Steve Van den Bosch:
Poster
Sarah Smolders:
The gesture of folding
Beatrice Balcou:
Picture rail, hanger and hook for a drawing by Eileen Gray at Société, Brussels, 2022
Els Vermang:
insideout you turn me upside down
Contexte d’exposition
Société d'Electricité est une plateforme d'exposition située dans une ancienne usine électrique à Molenbeek (Bruxelles, Belgique) qui met en perspective l'art conceptuel et algorithmique. Sans une analyse approfondie, les deux mouvements semblent être opposés. Mais le sont-ils? Qu'ont-ils en commun pour que leur dialogue puisse faire l'objet d'un programme d'exposition?
Les expositions collectives thématiques qui ont eu lieu à Société entre 2015 et 2020 ont exploré le contenu commun des œuvres d'art : le langage y compris les instructions et la couleur, les médias et la traduction d'un média dans un autre, les unités de mesure telles que le temps et l'espace,... La programmation des expositions juxtapose des œuvres de la première génération d'artistes conceptuels à celles de la génération la plus actuelle d'artistes algorithmiques - et les croisements qu’on peut percevoir entre ces deux.
Les expositions qui auront lieu à partir de 2021 examineront le contenant dans lequel les œuvres d'art sont exposées et les médias qui peuvent être utilisés à cette fin, et examine ainsi la notion d'exposition elle-même et la manière dont elle peut être étendue. De même que toute crise, y compris la crise sanitaire actuelle, explore les limites d'un système, la Société explore les limites de son espace d'exposition et de sa relation avec son public dans la série "insideout". Les médias utilisés ici recherchent délibérément un public en retournant ce qui se passe d’habitude entre les murs de Société peut maintenant être contemplée en dehors des murs de Société. Des nouvelles medias ont fait leur apparition dans l'art dans les années 1960 et ce n'est pas un hasard si elles sont issues du monde de l'information et de la communication. Le support le plus important dans "insideout" est la fenêtre. Dans son essai "Grids", Rosalind Kraus parle de la fenêtre comme d'un matériau qui apporte la lumière dans l'obscurité, mais qui reflète également la lumière et "enferme l'image dans son propre être dupliqué". Ce n'est pas pour rien que le système d'exploitation du PC s'appelle "windows", ne serait-ce que pour élargir notre champ de vision.
Société veut élargir notre vision des dénominateurs communs de l'art conceptuel et algorithmique. L'un des dénominateurs communs est la logique. Dans le cas du concept, il se trouve dans le domaine de la logique du langage et dans le cas de l'algorithme, il se trouve dans le domaine de la logique mathématique ; vrai et faux versus 0 et 1. Ce qu'ils ont en commun, c'est qu'ils s'attardent sur le "sens".
Les courants de l'art conceptuel et de l'art algorithmique
Dans son texte "Reconsidering Conceptual Art, 1966 - 1977"[i], Alexander Alberro divise ses recherches sur la signification de l'art conceptuel en trois mouvements : le conceptualisme linguistique, analytique et synthétique. Ces trois catégories s'inspirent de la "Kritik der reinen Vernunft" (1781) d'Emmanuel Kant, qui établit une distinction entre les propositions analytiques (énoncés qui sont vrais en vertu de leur signification) et les propositions synthétiques (énoncés qui sont vrais en vertu de leur relation avec d'autres significations). Dans le cas du conceptualisme linguistique, une enquête est menée sur le sens, et le sens se trouve dans le contenu invisible de l'œuvre d'art. L'exposition "measurements" de Société (sept - nov 2018) présentait l'œuvre "100% abstract" d'Art & Language datant de 1968, où la présentation abstraite est juxtaposée à une signification concrète en montrant la composition chimique de la peinture. Dans le cas du conceptualisme analytique, le processus est étudié comme une garantie d'objectivité et non de subjectivité, le "contenu" invisible est aussi important que le "contenant" visible et le sens est entre les mains du spectateur. Dans l'exposition "modus operandi" de Société (avril - juin 2017), j'ai activé la "méthode 169" de Claude Rutault de 1985 où la distance par rapport à l'archive d'une part et le numéro de séquence dans l'activation d'autre part déterminent ensemble le coefficient de changement d'échelle de la peinture. Dans le cas du conceptualisme synthétique, les dimensions sociales, économiques et politiques de l'institution artistique sont examinées et le sens réside dans le contexte. Dans l'exposition "time" de Société (sept - déc 2017), la trace de la participation de Mel Bochner à l'exposition " modus operandi " est devenue une nouvelle œuvre intitulée "Erased Bochner" ou ce que l'artiste appelle "l'archéologie du futur".
Cette analyse peut être étendue à l'art algorithmique, où la relation entre soft et hardware d'une part, et système ouvert-fermé[1] d'autre part, déterminera la relation entre le spectateur et l'œuvre d'art sous la forme d'un processus génératif, réactif ou interactif. Dans le cas de l'art algorithmique linguistique, il s'agit d'un processus fermé, génératif : le système génère le contenu de l'œuvre d'art. L'exposition "time" de la Société (sept - déc 2017) présentait "Two minutes" de Claude Closky, datant de 1997, où une barre de chargement, icône de l'avancement du temps, s'affiche pendant deux minutes sur un macintosh de la même année. Dans le cas de l'art algorithmique synthétique, il s'agit d'un processus réactif semi-ouvert : le contexte génère passivement le contenu de l'œuvre d'art. Pour l'exposition "modus operandi", j'ai demandé à Jan Dibbets de placer son œuvre de 1969 "Ten stops on a straight 5 mile road" dans une perspective contemporaine et de l'activer avec Google Streetview. Dans le cas de l'art algorithmique analytique, il s'agit d'un processus ouvert et interactif dans lequel le spectateur génère activement le contenu de l'œuvre d'art. Pour cette même exposition, j'ai activé "godmorgen" (2017) des artistes UBERMORGEN en suivant les instructions d'un guide du mobilier et en plaçant le résultat dans l'exposition.
Contexte historique
Les deux mouvements artistiques, l'art conceptuel et l'art algorithmique, trouvent leur origine dans les années 1960, une décennie marquée par la révolution sociale et le progrès technologique. Ces changements ont donné lieu à de nouvelles formes de collaboration (collaborations entre artistes[2] et collaborations entre artistes et scientifiques[3]) et à de nouvelles techniques et matériaux. Il y a eu une réaction "objective" (systémiste) à la tendance "subjective" (expressionniste) dominante dans l'art.
Relation entre sémantique - logique - mathématique
Le langage est utilisé pour représenter une idée, représentée par un mot qui transmet un sens. Dans son ouvrage "Tractatus Logico-Philosophicus" (1921), Ludwig Wittgenstein a proposé la "théorie des images" et les "conditions de vérité" pour montrer que la vérité dépend du degré de correspondance avec la réalité et que les mots n'ont de sens que s'ils représentent un fait de la réalité. Une proposition est valide lorsque sa conclusion est l'équivalent logique de ses conditions ("et", "si", "pas", "si... alors", etc.) qui peuvent être représentées par "vrai" ou "faux". Le mot "tautologie" vient du grec "tautos" (même) et "logos" (mot), et désigne quelque chose qui est "vrai" en vertu de sa logique, ou une proposition qui est "vraie" dans toutes les conditions de vérité. Dans l'art, une tautologie est autoréférentielle dans sa capacité à représenter, et en tant que telle, la proposition qu'elle contient est porteuse de "sens". Benjamin H. D. Buchloh l'appelle "l'approche empirique de la vision".[ii]
Dans la logique booléenne, introduite par George Boole dans son ouvrage "The Mathematical Analysis of Logic" (1847), les valeurs "vrai" et "faux" sont exprimées par "0" et "1". La logique booléenne a été précédée par les théories et les expériences de Gottfried Leibniz (1646-1716) qui, après avoir réalisé une calculatrice mécanique, a imaginé une calculatrice capable de déterminer les valeurs de vérité des énoncés mathématiques. Il s'est rendu compte qu'il fallait un langage formel, basé sur des algorithmes. La logique booléenne est devenue la base de l'électronique numérique et de la programmation : en 1930, Claude Shannon a appliqué les principes booléens aux circuits numériques et a prouvé que les interrupteurs mécaniques pouvaient être contrôlés en utilisant la logique du "0" et du "1".
L'artiste en tant que concepteur de processus
Le bit, abréviation de "chiffre binaire", est l'unité d'information dans la communication informatique : un bit est la quantité d'information qui correspond au résultat d'un choix entre deux possibilités équivalentes, ou un état logique qui peut prendre deux valeurs : "0" et "1". Cette "variable" est responsable de la rupture de l'aspect déterministe du programme. Interne ou externe au système, elle est la variable qui rend l'œuvre d'art plus ou moins ouverte ou fermée. Une variable interne concerne un processus génératif dans un système fermé. Une variable externe concerne un processus interactif avec un public ou un processus réactif dans un environnement. C'est donc la variable qui est responsable de la distinction entre les algorithmes linguistiques, analytiques ou synthétiques. L'artiste conceptuel ou algorithmique décrit le comportement de cette variable dans une instruction ou un algorithme.
Le terme "programmation" désigne la formulation de processus, "instructions" ou "algorithmes", et se réfère souvent, mais pas exclusivement, à l'informatique, où il s'agit d'un ensemble prescrit d'instructions bien définies pour la résolution d'un problème. Max Bense a écrit que "la programmation des œuvres, à savoir la théorisation et l'intellectualisation de la production esthétique, montre l'intégration des processus esthétiques dans l'horizon de la civilisation technique".[iii] L'exécution de ce programme par un ordinateur permet, d'une part, de calculer des processus difficiles et/ou longs et, d'autre part, peut conduire à des résultats incalculables. Les artistes conceptuels et algorithmiques sont tous deux des concepteurs de processus, mais l'artiste algorithmique se laisse aider par un ordinateur pour réaliser ces processus.
Le parallèle entre l'art conceptuel et l'art algorithmique peut en tant que tel être établi au niveau des processus, où le sens réside dans les propositions et les instructions. Jack Burnham, dans son texte d'introduction à l'exposition "Software" de 1970 au Musée Juif de New York, parle des "effets des techniques contemporaines de contrôle et de communication dans les mains des artistes" et "(...) le mouvement d'éloignement des objets d'art a été précipité par la préoccupation pour les (...) processus (...) et l'engagement philosophico-linguistique de l'art conceptuel. (...) ils s'intéressent aux structures sous-jacentes de communication et d'échange d'énergie plutôt qu'à des manifestations abstraites. Pour cette raison, le logiciel est aniconique." Il établit également un lien clair avec la notion de cybernétique ou "le concept de travail selon lequel le comportement de tous les organismes, machines et autres systèmes physiques est régi par leurs structures de communication, tant à l'intérieur d'eux-mêmes qu'avec leur environnement"[iv] et l'image anthropomorphique de la séparation entre le corps et l'esprit de l'informaticien Marvin Minsky comme représentation de la distinction entre le matériel et le logiciel, et de la distinction entre le contenant et le contenu.
Ainsi, le titre "insideout" rend tangible la logique sous-jacente d'un système, caractérisée par les oppositions entre le vrai et le faux, le 0 et le 1, l'intérieur et l'extérieur, le privé et le public, le support et le contenu, le passé et le futur, ainsi que le soft et le hardware. Mettre les opposés en perspective nous permet de chercher un sens. C'est un art conceptuel qui a libéré le mot de la littérature, le mouvement de la danse et le son de la musique. Aujourd'hui, c'est l'art algorithmique qui libère l'espace. À une époque où les médias électroniques nous permettent en outre de transcender l'espace matériel par des environnements immatériels, et d'être à la fois physiquement absents et virtuellement présents, il est urgent d'innover. Ou, pour reprendre les mots d'Umberto Eco : "Nous ne savons pas comment il l'a fait, mais c'est toujours l'art qui a été le premier à modifier nos façons de penser, de voir et de sentir, avant même que nous ne comprenions quelle nécessité il représentait."[v]
[1] Lire: The Open Work, Umberto Eco, 1962, Harvard University Press.
[2] Par exemple: le GRAV; ‘Groupe Recherche Art Visuel’
[3] Par exemple, Nove Tendencije ; "New Tendencies", une série d'expositions et de conférences visant à partager les recherches entre artistes et scientifiques, qui ont eu lieu à Zagreb entre 1961 et 1973, et EAT ; "Experiments in Art and Technology", une série de collaborations entre artistes et scientifiques établie en 1960 par entre autre Robert Rauschenberg et l'ingénieur Billy Kluver, qui travaillait aux Laboratoires Bell et était un ami du conservateur Pontus Hulten, qui lui a demandé d'aider Jean tinguely à créer une machine autodestructrice qui serait exposée au MOMA.
[i] Alexander Alberro, Conceptual Art: A Critical Anthology. Cambridge, MA: MIT, 1999.
[ii] Benjamin H. D. Buchloh, ‘the empiricist approach to vision’, From the Aesthetics of Administration to the Critique of Institutions, 1989.
[iii] Max Bense, ‘the programming of works, namely, the theorization and intellectualization of aesthetic production, demonstrates the integration of the aesthetic processes on the horizon of technical civilization.’ , Aesthetica III, Aesthetik und Zivilisaton, Agis, Krefeld, Baden-Baden, 1958.
[iv] Jack Burnham, ‘the effects of contemporary control and communication techniques in the hands of artists’ et ‘(…) the movement away from art objects has been precipitated by concerns with (...) processes (...) and the philosophical-linguistic involvement of Conceptual Art. (…) they deal with underlying structures of communication and energy exchange instead of abstract appearances. For this reason Software is aniconic.’ en ‘working concept that the behavior of all organisms, machines, and other physical systems is controlled by their communication structures both within themselves and with their environment ‘ Software. Information technology: its new meaning for art. Catalogue d’exposition, Musée Juif, New York, 1970 & Smithsonian, Washington. 1971.
[v] Umberto Eco, ‘We don’t know how it did it, but it has always been art that has first altered our ways of thinking, seeing and feeling, even before we understood what necessity it was.’, Arte Programmata. Catalogue d’exposition, Olivetti at Galleria Vittorio Emanuele, Milan, 1962.